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8 août 2008 5 08 /08 /août /2008 21:39

Yves Gourmelon

LITTÉRATURE / Gaston Compère est mort. Il avait 83 ans
Entre mystique et grotesque

JEAN-CLAUDE VANTROYEN ET JACQUES DE DECKER

mardi 15 juillet 2008, 11:00

FICTION, ESSAIS, PROSE, poésie, fantastique. L’écrivain belge a parlé toutes les langues. Surtout celle du style.





En janvier 1987, la RTBF avait réalisé un portrait de Gaston Compère, réalisé par Bob Leenaers et intitulé : « La saison du sagittaire ». Ce cliché en est extrait. © RTBF.

Comme les plus grands, auprès desquels il faut le compter d’ailleurs, Gaston Compère n’est pas à ranger dans une catégorie, ni même une division. Il représente une bibliothèque à lui tout seul, lui à qui aucun genre littéraire n’était étranger. Cette exubérance s’explique peut-être par le fait qu’il est entré en littérature, à l’instar d’un Henry Bauchau, à cet âge que l’on dit mûr.

Lorsqu’il explosa littéralement, au milieu des années septante, il avait atteint le demi-siècle et n’avait publié, en tout et pour tout, que sa thèse de romaniste sur Maurice Maeterlinck (magistrale au demeurant et parue à l’Académie) et un étrange et intriguant recueil de poèmes, Géométrie de l’absence qui avait été remarqué par Marcel Thiry et que les happy few se recommandaient en douce. Des poèmes qui tenaient à la fois de l’épure et de la formule cabalistique.

On y sentait en germe un écrivain terriblement conscient de son art, à la précision mathématique (on apprendrait bientôt qu’il était aussi musicien et vouait un culte à Jean-Sébastien Bach, ce qui expliqua bien des choses) et à la maîtrise verbale souveraine. Mais ce n’est pas de cette façon que la réputation de Compère atteindrait un plus vaste public. Cette percée se produisit avec son passage à la fiction. Un premier ensemble de nouvelles, Sept machines à rêver révéla un conteur qui était un familier du romantisme allemand.

En 1977, un roman fit sensation, au point de lui valoir le prix Rossel. Portrait d’un roi dépossédé avait pour centre névralgique un constat dont les livres précédents n’avaient qu’esquissé l’aveu : ce que Cioran appela « l’inconvénient d’être né ». Cette révolte contre la condition d’avoir été jeté dans l’univers, deviendrait dès lors la basse continue des compositions littéraires de Gaston Compère.

Ce mal d’exister allait se trouver au centre de ses grandes évocations historiques, construites autour de Charles le Téméraire ou de Louis XI, ou de ses reconsidérations de mythes, comme sa magnifique réécriture de Robinson, qui n’a rien à envier à celle de Michel Tournier, conférant au versant romanesque de son œuvre la résonance d’une quête philosophique désespérée peut-être, mais nourrie d’une puissance créatrice véritablement baroque.

C’est que les moyens stylistiques de Compère étaient inouïs. Fort de son métier de poète, il charge sa prose de prouesses constantes.

Nourri des textes sacrés, non seulement il les concasse dans ses propres vers, comme dans Ecrits de la caverne, mais il les injecte dans ses proses, qui se plaisent à confronter sans cesse le sublime et le grotesque, l’éthéré et le trivial. Il y a du mystique et du profanateur chez Compère, grand initié lui-même, et ses écrits attendent encore les décrypteurs qui en feront la glose.

Sa bibliographie est des plus vastes, l’auteur, une fois déchargé de ses cours (ses élèves à l’Athénée d’Ixelles gardent de lui un souvenir ébloui, lisez ci-dessous), ne s’étant plus voué qu’à l’écriture, avec quelques évasions dans la composition musicale où il excellait aussi. Les deux techniques, chez lui, se confondaient. Il écrivait avec la précision d’un claveciniste, il composait avec la fantaisie d’un inépuisable conteur. Il fit aussi des incursions dans le théâtre, destinant de magnifiques adaptations de Shakespeare à la compagnie de Daniel Scahaise.

On lui doit des essais d’une rare limpidité dans l’analyse, consacrés à Bach, son indéfectible compagnon, ou à Maeterlinck, à qui il consacra un deuxième livre aux antipodes du premier, totalement décontracté, d’une rare liberté de ton, où il ne dissimule pas que le seul Nobel littéraire belge avait aussi écrit quelques solides platitudes.

Compère, depuis quelques mois, épuisé par une maladie que l’on nomme le syndrome d’Atlas, et qui donne à celui qui en souffre l’impression de porter le monde sur ses épaules, avait déposé la plume.

Son immense oeuvre est donc close. En fera-t-on jamais le tour ?

« Rappelle-moi la mer contre les digues, les larmes... »

Le sel

« Rappelle-moi la mer contre les digues, les larmes

Sur les joues, la crypte flasque de la nuit.

Où trouver la porte stable, la rose d’or ? L’art

mystérieux des mains qui récoltent le sel,

Où donc l’apprendre ? Je me terrais dans mon réduit,

les mains engourdies par la nuit violente.

Ah, que j’ignorais que la mort, lorsqu’elle excelle,

peut amener aux sciences les plus brûlantes ! »

Poème extrait d’ Ecrits de la caverne, Jacques Antoine, 1976.

« Il s’excusait presque d’être là »

Gaston Compère est parti doucement. Il avait eu 83 ans en novembre dernier. Il avait perdu l’usage de ses jambes il y a plusieurs mois et il avait été placé en milieu hospitalier. Il a beaucoup souffert de cette « prison finale », comme il disait. Au point d’avoir voulu mourir. « En fait, il s’est laissé mourir », précise Jean-Paul Dessy, musicien et compositeur et ami de l’écrivain.

« C’était mon petit père de substitution spirituelle, dit-il. C’était mon Gaston. » A 40 ans de distance, Dessy et Compère ont eu des trajectoires très proches. Ils ont été au même collège, ils ont tous deux fait les romanes puis le conservatoire à Liège. Puis l’un s’est lancé dans la musique, l’autre dans l’écriture, en regrettant toutefois la musique et en y revenant parfois.

« Il s’est remis à composer quand je l’ai rencontré. Il avait expulsé la musique de sa vie comme compositeur pour des raisons personnelles mais il avait été présent dans le cercle de la musique d’avant-garde belge. Comme j’avais créé un quatuor à cordes, il m’a composé une œuvre, très belle. La musique a d’ailleurs pris une dimension énorme dans ses dernières années. Il s’exprimait davantage par les notes que par les mots. »

Son éditeur Pierre Belfond disait de Gaston Compère qu’il était un des trois écrivains les plus importants de sa carrière d’éditeur. Pourtant, toute son œuvre, c’est-à-dire une cinquantaine de livres certainement, n’est pas aisément accessible. Une grande partie ne peut être trouvée qu’en bouquinerie ou sur certains sites internet.

Les Belfond sont épuisés, les Labor seront-ils tous réédités chez Luc Pire ? Même les Renaissance du livre récents sont inaccessibles. « Il m’a chargé de m’occuper un peu de son œuvre », reprend Jean-Paul Dessy. Il y aura du travail. Mais peut-être Luc Pire ou des éditeurs comme Maelström auront-ils à cœur de redonner une chance à la lecture de Gaston Compère.

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 Ce blog est dédié à l'oeuvre et à la vie de Maeterlinck, poète symboliste belge de la fin du XIXème siècle/ début XXème siècle. Vos commentaires aux articles et aux pages sont les bienvenus!

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